2010, année festive pour l’Afrique ?

2008 STRATEGIC FORECASTING
Un calendrier chargé en célébrations…
Cette nouvelle année a débuté sur les chapeaux de roues en Afrique. Dès le 31 décembre 2009 au soir, la fête avait débuté dans les rues de Yaoundé pour célébrer le cinquantenaire du début de l’indépendance camerounaise, officiellement proclamée le 1er janvier 1960, pour sa partie francophone. A l’instar du Cameroun, 16 autres États africains (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Congo- Kinshasa, Côte d’Ivoire, Gabon, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Somalie, Tchad et Togo), dont 13 anciennes colonies françaises (le Congo- Kinshasa, le Nigeria et la Somalie étaient respectivement sous domination belge, britannique et italienne) vont fêter les 50 ans de leur accession à l’indépendance. Les célébrations vont donc se succéder tout au long de l’année. Parallèlement, deux évènements sportifs majeurs vont se dérouler sur le continent. En effet, du 10 au 31 janvier dernier, s’est déroulée la Coupe d’Afrique des Nations, en Angola, qui a vu la victoire de l’Égypte pour la troisième fois consécutive. Organisée tous les deux ans, la CAN est la compétition internationale de football la plus importante en Afrique, et qui participe à rassembler l’ensemble de la population du continent, du Nord comme du Sud du Sahara, quelle que soit sa confession. En outre, l’Afrique du Sud accueillera du 11 juin au 11 juillet prochains la Coupe du monde de football. Pour un continent où ce sport est un élément constitutif de l’orgueil national dans de nombreux pays, la chance de pouvoir être l’hôte des deux évènements la même année apparaît comme une consécration.
…des blessures ouvertes sous le maquillage…
L’année 2010 se présente donc comme une année pendant laquelle vont se succéder de nombreuses festivités. Il n’en demeure pas moins que, derrière les liesses populaires, somme toute de circonstance, de nombreux problèmes de fond restent à résoudre. Ainsi, en marge certes de l’évènement, la CAN s’est vue endeuillée par la mort de plusieurs joueurs de l’équipe nationale togolaise, pris pour cible par des rebelles séparatistes du Cabinda, territoire angolais complètement séparé du reste de l’Angola « métropolitain ». Au Nigeria, en dehors des tensions liées à l’exploitation des matières premières, la violence fait de nouveau rage ces dernières semaines pour des questions de confession religieuse.
Lors de la fondation en 1963 de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA – devenue en 2002 l’Union Africaine – UA), les chefs d’État africains de l’époque se sont accordés sur l’intangibilité des frontières héritées de la décolonisation. Ils pensaient, entre autres, qu’un pouvoir fort associé aux personnages mythiques de l’indépendance suffirait à ce que le sentiment national prenne le pas sur les différences entre les populations d’un même territoire. Force est de constater qu’alors que dans de nombreux États, les populations coexistent tant bien que mal de manière relativement pacifique, il existe encore de nombreux foyers où les tensions entre populations au sein d’un même territoire montre que l’idée d’une Nation, une et unifiée, n’est pas encore acquise un demi-siècle environ après l’accession à l’indépendance.
Parlant d’indépendance, le concept même est encore sujet à débat dans certains États d’Afrique, notamment dans les anciennes colonies françaises. Dans le cadre des célébrations de la décolonisation, de nombreuses personnalités ainsi que des quotidiens nationaux africains ont trouvé quelque peu douteuse l’implication de la France, par l’intermédiaire de Monsieur Jacques Toubon, dans l’organisation des cérémonies. À ce titre, Banda Kani, président d’un parti d’opposition camerounais, affirme : « Il faut dénoncer ici ce que fait la France. Elle […] prétend aujourd’hui organiser le cinquantenaire du Cameroun. Malheureusement, elle est soutenue par son allié Paul Biya. Ça prouve que ce dernier admet que le Cameroun reste sous contrôle français. » Bien que son intervention soit partisane, elle n’en témoigne pas moins de l’inquiétude de certains face aux liens étroits encore entretenus avec l’ancienne métropole, notamment au regard de la dépendance à l’aide au développement. En outre, il semble quelque peu paradoxal que l’État dont ces pays ont voulu s’affranchir se retrouve impliqué dans l’organisation d’une fête célébrant cette libération. Le contenu du prochain Sommet France- Afrique, à Paris au mois de mai prochain – et initialement prévu en février en Égypte –, sera assurément examiné de près par les politiques africains.
À côté de ces problèmes de fonds qui perdurent depuis l’accession à l’indépendance, le continent africain doit aussi montrer son autonomie face à des soucis plus récents, que l’on pourrait encore qualifier de « superficiels » en comparaison de ceux cités précédemment. Il en est ainsi du cas d’Omar El-Bechir, Président en exercice du Soudan, et condamné pour crime contre l’Humanité par la Cour Pénale Internationale (CPI). Nombre d’États africains refusent de remettre en question l’immunité absolue du chef de l’État en fonction, en accord avec la coutume internationale. C’est ce qui a valu le transfert du Sommet France- Afrique de Charm el Cheikh à Paris. Mais l’Union Africaine se trouve là face à un dilemme shakespearien, dont le crime contre l’Humanité n’est qu’un verni : soit elle se range du côté des démocraties occidentales et crée un précédent d’importance fondamentale dans le droit international en coopérant pour l’arrestation d’El-Bechir, et risque de mettre en péril le pouvoir d’autres chefs d’État africains ; soit elle ne soutient pas la décision de la CPI et prend le risque d’être abusivement catégorisée dans l’« axe du Mal » par certains. Gageons que la passation de pouvoir récente entre Kaddafi et Mathurika à la tête de l’UA donnera suffisamment de place à la diplomatie pour que chacun trouve satisfaction dans cette affaire.
Sur un autre plan, les coups d’État guinéen (Conakry) et malgache sont encore en suspens. L’exemple malgache pourrait, par ailleurs, lui aussi se révéler un cas d’espèce. Il y a presqu’un an jour pour jour, Madagascar – qui devait en outre accueillir le Sommet de la Francophonie au printemps – était victime d’un coup d’État qui a vu le Président Marc Ravalomanana se faire renverser par Andry Rajoelina, porté au pouvoir par une importante partie de la population mais pas par les urnes. Depuis, les négociations se sont succédées, sous l’égide de l’Union Africaine, pour partager le pouvoir entre les différents protagonistes, en attendant l’organisation d’élections demandées fin 2010 par la communauté internationale. Las des tergiversations qui n’aboutissaient pas, Andry Rajoelina, détenteur effectif du pouvoir, a quitté les négociations et avancé le calendrier des élections pour que Madagascar ait un Président élu pour célébrer le cinquantenaire de la fête nationale, le 26 juin prochain. Rapidement devraient se succéder des élections législatives et constituantes, l’établissement d’une nouvelle Constitution et l’élection du premier Président de la IVème République malgache. Si l’organisation de ces élections devait réussir, qu’importe le vainqueur, une question essentielle va se poser à la communauté internationale : le coup d’État peut-il encore trouver sa légitimité dans le soutien de la population ? Car là aussi, il est probable que le précédent ait des répercussions politiques importantes sur la scène aussi bien continentale qu’internationale.
2010, l’heure de la fête et du bilan
Face aux évènements qui se sont déroulés l’année dernière, Jean Ping, président de la Commission de l’UA, a qualifié l’année 2009 d’« annus horribilis » [horrible année], reprenant l’expression employée en 1992 par la reine Elizabeth II d’Angleterre. Avec les célébrations à venir, il est peu probable que l’année 2010 en soit une pour l’Afrique, mais les commémorations des indépendances doivent aussi marquer l’heure du bilan pour un continent qui a encore de nombreux défis à relever et à faire relever. Attention, à la « gueule de bois » !