Enora Douguet
La variante hindoue populiste : entre discriminations et menaces à la démocratie

Surnommée la plus grande démocratie du monde, l’Inde a choisi la voie populiste, exacerbant les discriminations et les violences religieuses entre les hindous et la minorité musulmane, aux 200 millions de fidèles. La recrudescence du virus de la covid-19 met en lumière les carences du gouvernement de Narendra Modi, Premier Ministre supporter de l’Hindutva, cette doctrine promouvant la reformation d’un Etat Hindou sur le territoire Indien. La montée du nationalisme hindou se fait ressentir concrètement aujourd’hui, après sept années de gouvernance sous Narendra Modi, fragilisant la démocratie et le respect des droits de l’homme.
Aux côtés de Bolsonaro au Brésil, Duterte aux Philippines ou encore Orbán en Hongrie, les leaders populistes charismatiques accèdent aux plus hautes fonctions de leurs États. L’Inde est le deuxième pays le plus peuplé au monde avec ses 1,3 milliard d’habitants et ambitionne d’atteindre le podium des puissances mondiales dans les années à venir. Toutefois l’Inde fait face à des enjeux politiques et économiques considérables. Dans un pays où 80% de la population est hindoue, Modi instille la peur et la haine des musulmans. Les conséquences de la promotion de l’idéologie de l’Hindutva sont désastreuses au sein de la communauté musulmane et fragilisent la démocratie du pays. Le populisme se caractérise par un anti-pluralisme et un anti-élitisme. Le populisme en Inde se complète avec l’idéologie du nationalisme hindou. Ce dernier se concentre sur le passé glorieux de la nation hindoue et l’oppose aux communautés d’immigrants. Ce populisme hindou s’analyse comme un jeu à deux niveaux avec d’un côté les promesses économiques basées sur l’inclusion de tous et la protection de l’économie indienne et, de l’autre, les aspects religieux excluant et discriminant les populations non-hindoues. Narendra Modi guide ainsi un gouvernement autoritaire, muselant le parlement. Le rejet du pluralisme se confirme lorsque Christophe Jaffrelot mentionne l’ambition de Modi de libérer l’Inde du Congrès national indien, principal parti de l’opposition mené par Radurah Ghandi [1]. Historiquement, la Constitution indienne proclame un Etat laïc en gardant ainsi la religion à l’écart du politique. Pourtant, le pays sombre aujourd’hui dans les « affres du nationalisme religieux » selon Amalendu Misra.
Narendra Modi, le « diviseur en chef » Tirée du Times l’expression « diviseur en chef » illustre à bien des égards la politique entreprise par Narendra Modi, chef du Bharatiya Janata Party (BJP) qui a obtenu une majorité absolue à la chambre basse du parlement en 2014, ce qui n’était pas arrivé depuis plus de trente ans. Le BJP fait partie d’un groupe d’organisations hindoues d’extrême droite fondée sur la doctrine de l’Hindutva. Modi place le peuple en opposition aux élites et aux corrompus. Fils d’un vendeur de thé, il se présente en homme du peuple et se distingue ainsi de son prédécesseur Nerhu, ancien étudiant de Cambridge et proche de l’Occident. Le autonome du Jammu-et-Cachemire en abrogeant l’article 370 de la Constitution, garant de son statut particulier. Jean-Luc Racine évoque une rétrogradation inédite dans l’histoire de l’Inde indépendante [2]. Selon le gouvernement, le but était de consolider la paix et le développement de la région. Seul Etat fédéré à majorité musulmane, le Jammu-et-Cachemire est soumis à une sévère répression des opposants politiques, les lignes de communications ont été momentanément rompues. Cette région fait l’objet de vives tensions géopolitiques avec le Pakistan depuis son rattachement à l’Inde indépendante.
Une érosion de la laïcité, fondement de l’Inde indépendante Le gouvernement Modi cherche à diffuser la religion hindoue dans chaque recoin de la société. L’État poursuit ainsi une politique de saffronisation qui consiste à édulcorer le passé des Hindous [3]. Les programmes d’éducation prévoient ainsi de modifier le narratif des livres scolaires pour passer d’un discours supposément européanocentré à celui d’un discours promouvant la culture hindoue. Le gouvernement pénalise également l’abattage et la consommation de vaches et de bœufs, animal sacré dans la religion hindoue. Ces mesures vont à l’encontre de la laïcité ancrée dans les valeurs de l’Inde indépendante et fragilisent le respect des droits des minorités. Surtout, la dernière étape franchie par Narendra Modi a suscité une vague d’indignation à travers le pays: le Citizenship Amendment Act (CAA), basant la citoyenneté sur la religion, marque un coup d’arrêt à la séparation entre l’Etat et la religion. Cette nouvelle loi prévoit de faciliter l’octroi de la citoyenneté indienne aux réfugiés des pays voisins, à l’exception des réfugiés musulmans. Selon le gouvernement, cette position est logique dans la mesure où les musulmans n’ont pas à craindre de persécutions dans un pays où ils constituent la majorité religieuse. Toutefois, Shaul M. Gabbay mentionne que cet argument ne tient pas face aux persécutions subies par des minorités musulmanes, tels que les chiites au Pakistan [4].
Des politiques discriminatoires contraires au droit international accentuées par la Covid-19 Selon Jean-Luc Racine, Le CAA viole l’article 14 de la constitution indienne qui assure le droit à l’égalité devant la loi [5]. Cette dernière pose de nombreux problèmes administratifs car plus d’un tiers des enfants indiens âgés de moins de cinq ans n’ont pas de certificats de naissance et ne peuvent donc prouver leur nationalité indienne. Le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Antonio Guterres se dit inquiet du risque d’apatridie après l’application de cette loi. Les personnes qui ne sont pas en mesure de prouver leur nationalité sont déportées dans des camps [6]. Le gouvernement a également pour projet d’instaurer un processus d’identification de la nationalité afin d’identifier les migrants illégaux et de les renvoyer dans leur pays d’origine. Déjà instauré dans l’Etat d’Assam, il tend à se généraliser. Les musulmans deviennent ainsi la cible des critiques dans le contexte pandémique, accusés d’être des diffuseurs importants du coronavirus en raison d’événements religieux ayant rassemblé de nombreux fidèles sans gestes barrières. Le hashtag #coronajihad démontre l’ampleur des accusations à l’égard des musulmans. C’était sans compter sur le relâchement de toute la population, hindoue ou musulmane qui a contribué à la troisième vague de la covid en Inde. La pandémie permet au gouvernement de consolider ses pouvoirs et le contrôle de la société civile en menaçant journalistes et intellectuels. L’Inde devient alors une démocratie illibérale, expression attribuée à Fareed Zakaria, où l’égalité devant la loi n’est plus assurée et où l’indépendance de la justice peut être remise en question. L’absence de réactivité de la Cour Suprême du pays sur le CAA illustre la réticence des juges de se saisir de sujets controversés.
L’Inde face à ses engagements internationaux
L’Inde se trouve ainsi en porte-à-faux de ses engagements internationaux. Le CAA est contraire au droit international coutumier, notamment au principe de non-refoulement qui oblige un Etat à ne pas renvoyer des demandeurs d’asile dans leurs pays d’origine s’ils risquent des persécutions en raison de leur race, religion, nationalité, opinion politique ou en raison de leur appartenance à un groupe social. De plus, l’Inde a adopté en 2018 le Pacte mondial pour des migrations sûres, régulières et ordonnées qui l’engage à protéger les migrants vulnérables et éviter les détentions arbitraires, tout en mettant en place des mesures fondées sur le respect des droits humains. Le Pacte interdit ainsi la discrimination raciale, religieuse et ethnique. Le populisme de Narendra Modi a effectivement des conséquences au niveau international vis-à- vis des engagements du pays mais l’Inde reste un acteur incontournable pour les puissances occidentales. Membre du Quadrilateral Security Dialogue (QUAD), le pays reste une puissance régionale stratégique pour contrebalancer l’influence chinoise dans la zone asiatique. Narendra Modi reste paradoxalement ouvert au multilatéralisme dans ses relations extérieures, en imposant un unilatéralisme dommageable à une part significative de sa population.
Sources
Christophe Jaffrelot, “Narendra Modi ou la variante hinduo du national-populisme », 2018, Outre-Terre, 42-48, p.48.
Amalendu Misra, “Hindu Nationalism and Muslim Minority Rights in India,”, 2000, International Journal on Minority and Group Rights 7, no. 1 : 1-18, p.2.
Times, “Can the World’s largest democacry endure another five years of a Modi governement?”, publié le 9 mai 2019.
Jean-Luc Racine, « Le nationalisme hindou au pouvoir », 2020, Politique étrangère, 105 :120, p.111
Shaul M. Gabbay, “India’s Muslims and Hindu Nationalism, 2020” International Journal of Social Science Studies 8, no. 5 : 51-57, p.54
Op.cit. RACINE, p.114
Op.cit. RACINE, p.114
Op.cit. GABBAY, p.1.
Zakaria, Fareed. “The Rise of Illiberal Democracy.” Foreign Affairs, vol. 76, no. 6,
Council on Foreign Relations, 1997, pp. 22–43